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Tuto: Comment être juré d'assises ?

Jurée d’assise : pourquoi moi ?

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Il y a quelques semaines, j’ai reçu un courrier du maire de ma commune m’informant d’une sélection pour le moins extraordinaire. Me voici désignée par tirage au sort pour figurer sur la liste préparatoire à la liste annuelle du jury d’assises pour la cour d’Assises du département du Gard.
 

La lettre m’invite à consulter « un guide pratique relatif aux fonctions de jurés d’assises », ce que je m’empresse de faire ! Tout-e citoyen-ne français-e peut être tiré-e au sort pour participer à un jury d’assises afin de juger une affaire criminelle. C’est un devoir civique que l’on ne peut refuser, sauf exception. Cela m’inquiète un peu. Les jours passent. Je m’interroge de plus en plus. Je tente alors de joindre plusieurs anciens jurés pour qu’ils me confient leur expérience. Seule, Magali* B., accepte de me rencontrer et de revenir sur la session à laquelle elle a participé il y a bientôt six ans. Sentant mon appréhension, elle veut à la fois me renseigner et me rassurer. Elle me précise aussi que son témoignage est très personnel, qu’il faut bien en tenir compte.


How I Met Your Lawyer : Bonjour Magali* ! Pour nous, vous acceptez de partager cet épisode de votre vie et je vous en remercie. Est-ce difficile de raconter ce moment ?


M. : Oui, mais aujourd’hui, j’ai le recul nécessaire pour mettre des mots sur ce que j’ai vécu. Par contre, je ne parlerai pas des affaires elles-mêmes, je n’en pas le droit.


HIMYL : Est-ce-que vous vous souvenez de votre état d’esprit quand vous avez été convoquée pour la session d’assises ?


M. : J’étais un peu stressée. Je travaillais dans un restaurant à l’époque et j’ai dû m’organiser avec mon patron. Il fallait que je sois complètement disponible pendant presque 2 semaines. Et puis il a fallu que ma famille s’adapte aussi. On ne sait jamais combien de temps les audiences vont durer, à quelle heure on va rentrer chez nous le soir. Au début de chaque affaire, on doit être présente pour le tirage au sort, on peut être appelés ou récusés par l’avocat général ou celui de la défense. Ils ne donnent jamais les motifs. C’est très gênant d’être écartés de cette manière mais
c’est la procédure.

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HIMYL : A votre arrivée au tribunal, vous étiez plutôt curieuse ou anxieuse ?


M. : En fait, un peu les deux. Le monde judiciaire, c’était un univers complètement étranger pour moi. Et le monde carcéral, encore plus. Quelques jours avant la session, on a visité une prison et ça, je ne m’y étais pas préparée du tout. C’était glaçant. En sortant, je me rappelle, j’avais la boule au ventre.

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HIMYL : Alors, c’est l’anxiété qui l’a emporté ?

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M. : J’ai commencé à me poser plein de questions. Pourquoi on me demandait de décider du sort de quelqu’un, pourquoi j’étais là, moi. Je me disais que je n’étais pas la bonne personne, que je n’avais pas les armes, bref, je me trouvais de moins en moins légitime. Alors la première fois, quand je suis entrée dans la salle d’audience, j’ai eu une drôle de sensation. J’étais pétrifiée. Le décor, les magistrats en robe, tout m’impressionnait, m’intimidait. J’aurais voulu partir et je ne pouvais pas.

 

HIMYL : Comment avez-vous surmonté cet instant de panique ?


M. : Eh bien bizarrement, quand j’ai entendu le Président m’appeler par mon numéro, je n’ai pas hésité, je me suis levée pour le rejoindre. On était six jurés, trois d’un côté, trois de l’autre. Il ne fallait pas flancher, il fallait que j’assume mon rôle comme eux. On m’a « recalée » trois fois, j’ai assisté à deux procès et c’était bien assez.

 

HIMYL : Qu’est-ce qui a été le plus éprouvant ?


M. : Pendant le déroulement des affaires, on doit tout le temps contrôler nos émotions, surtout ne rien laisser paraître. C’est assez pénible, il faut rester bien concentré. La seule chose qu’on peut faire, c’est prendre des notes. Et puis, le Président avertit tout le monde. Il faut éviter de parler de ces affaires à l’extérieur. C’est aussi pénible de tout garder pour soi comme ça. Les audiences tournent en boucle dans la tête et on est seul. Mais ce que j’ai le plus mal supporté, ce sont les interventions des médecins légistes et leur façon de décrire crûment les détails des violences sur les corps. Dans chacune des affaires, il s’agissait de coups ayant entraîné la mort d’une femme, associés à un viol pour la deuxième. Des horreurs qui me ramenaient à mes combats personnels et au Collectif Féministe Contre le Viol que je soutiens. Bon, heureusement, j’ai le souvenir d’un Président très professionnel, un peu paternel avec nous, les jurés, mais plein d’humour. Il nous a épargné les photos, ça nous a soulagés. Il a dédramatisé nos fins de journée pour ne pas nous laisser repartir le moral à zéro.

 

HIMYL : Et avec les autres jurés, comment les choses se sont passées ?


M. : On n’échangeait pas beaucoup entre nous. On a déjeuné ensemble une fois ou deux, je crois. A la fin des audiences, chaque fois, on nous a réunis dans une petite salle pour délibérer à huit clos et là, c’était tendu naturellement. C’est important de pouvoir nous écouter les uns les autres. On n’est pas dans une pièce de théâtre.
Les peines encourues sont très lourdes, vingt, trente ans de réclusion ou la perpétuité, ce n’est pas rien. En plus, dans la première affaire, l’accusé niait une partie de ce qu’on lui reprochait. Alors, je relisais mes notes sans arrêt, ça me tracassait jour et nuit.

 

HIMYL : Finalement, est-ce que vous regrettez cette expérience ?


M. : Pas du tout. J’avoue qu’à la fin de la session, on avait tous hâte de quitter le palais de justice. J’avais décidé de ne pas en parler autour de moi et le retour à « ma vie d’avant » n’a pas été simple. Je n’étais plus tout à fait la même après cette sorte de parenthèse judiciaire. Et puis j’ai eu le temps de lire, de réfléchir à ce que j’avais appris sur moi, sur la société, sur la justice. J’ai le sentiment de m’être impliquée du mieux que je pouvais. C’est important d’aller jusqu’au bout, d’affronter la réalité, de ne pas la lire seulement dans les journaux ou de la voir sur les écrans. Parole de jurée… populaire !


*Le prénom a été modifié.


La décision sur la culpabilité est prise à la majorité qualifiée d’au moins 6 voix sur 9 en première instance, et au moins 8 sur 12 en appel c’est-à-dire avec la moitié des votes plus une voix.


La décision sur la peine est prise à la majorité simple c’est-à-dire avec la moitié des voix plus une ; sauf s’il s’agit de prononcer le maximum de la peine d’emprisonnement encourue : elle est alors prise à la majorité qualifiée des deux tiers.


Rappelons qu’en 2019, 151 femmes ont été tuées par leur compagnon ou leur ex. En France, on compte un féminicide tous les trois jours …


Maintenant, une adresse à nos lecteur-rices : ne soyez pas trop inquiet.es et préparez-vous en cas de tirage au sort, qui sait !

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Et dans l'édition de la semaine prochaine… Venez découvrir un article inédit sur le témoignage d’une policière  lors d’une affaire en Cour d’Assise. Etant en charge de l’affaire en 2017, elle doit témoigner au procès des accusés le lundi 9 mars 2020. Le procès se déroulant sur une semaine, elle a accepté de nous faire part de son expérience, nous sommes donc allés la rencontrer.

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Source : http://www.justice.gouv.fr/publication/guide_jures_assises.pdf

Eléa

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